Elle crée le premier abattoir mobile de France

Révoltée par les conditions d’abattage industriel des bovins, l’éleveuse Emilie Jeannin a créé en 2020 le premier abattoir mobile de France : le « bœuf éthique » se déplace depuis de fermes en fermes dans l’optique d’apporter aux éleveurs des conditions d’abattage dignes, à domicile.

Dans la famille Jeannin, on est précurseur de père en fille. Installée depuis 2006 sur l’exploitation familiale à Beurizot en Côte-d’Or, Émilie élevé avec son frère Brian 200 bovins charolais : « Mon père a créé dès 1996 la boucherie à la ferme en aménageant un local de découpe et de vente directe sur l’exploitation » se rappelle Emilie.
C’était déjà une première sur le territoire français. Depuis, le frère et la sœur poursuivent ce travail avec l’objectif
« de faire la meilleure viande possible ». Justement : pour « faire la meilleure viande possible », un maillon de la chaîne manque a la jeune agricultrice : « On peut identifier cinq facteurs qui influencent la qualité de la viande, explique-t-elle : la race de l’animal, son alimentation, sa docilité, l’abattage et la phase de maturation et découpe. L’abattage, qui est vecteur de stress et impacte la qualité de la viande, est le seul facteur sur lequel nous, éleveurs, n’avions pas de prise. »

Le voyage en Suède qui change tout
La loi oblige en effet les éleveurs a passer par un abattoir pour abattre leurs animaux. Or, on est passé d’un millier d’abattoirs dans les années 1970 a 250 aujourd’hui en France. Conséquence : les bêtes parcourent des centaines de kilomètres, entassées dans des camions, avant d’être abattues a des cadences industrielles.
Le déclic intervient en 2016. Émilie rencontre Franck Ribière, réalisateur du film
« Steak (R)évolution » (sorti en 2014) qui met en lumière la production de viande de qualité. « C’est lui qui m’apprend qu’en Suède, il existe un abattoir mobile qui se déplace de fermes en fermes. Il m’embarque avec lui dans l’avion, et on va sur place. Au retour, je lui ai dit : « Je ne veux plus élever des animaux si on ne fait pas ça en France. »
Commence alors une longue bataille administrative et juridique. L’éleveuse change de costume et enfile celui de femme d’affaires. Le TGV devient sa deuxième maison. « Il a fallu batailler pendant presque trois ans, avec face à nous le lobby des industriels » se souvient Emilie Jeannin. En octobre 2018, enfin, la loi Egalim et son article 73 inscrivent la mise en place d’une expérimentation de l’abattage mobile en France.

Un budget de 1,5 million d’euros
Pour financer son abattoir, l’agricultrice s’inspire du modèle des startups avec une levée de fonds. En un mois, six investisseurs lui apportent 602 000 €,
« grâce aux réseaux sociaux ». Elle dépose également un dossier sur la plateforme Miimosa. « En cinq jours, on réunit 250 000 € sous forme de prêts participatifs ». Un engouement exceptionnel, complété par des subventions d’aides à l’innovation de BPI et de la Région Bourgogne-Franche-Comté. En décembre 2020, le budget de 1,5 million d’euros est bouclé. La gestation dure neuf mois, le bébé est livré en aôut 2021.

« On a gagné le pari de la bientraitance animale »
Depuis, les trois semi-remorques estampillés « boeuf éthique » sillonnent la région. Une quarantaine d’éleveurs ont adhéré au concept. Tous s’engagent à respecter un pacte éthique garantissant, entre autres, que les animaux ont accès aux pâturages, sont nourris d’herbes et d’aliments naturels et ne reçoivent pas d’antibiotiques. Le planning ne désemplit pas : « l’installation dure 1h30. On passe 3 à 6 bêtes par jours. Contre 80 par heure dans un abattoir classique » rappelle Emilie. Après six mois d’utilisation, le bilan est prometteur : « il ne se passe
que quelques secondes entre le moment où l’animal entre dans le camion et la mise à mort. Il n’y a aucun stress. Dans ce sens, on a gagné le pari, non pas du bien-être animal, mais de la bientraitance animale »
précise Emilie. Le boeuf éthique compte aujourd’hui 13 salariés. L’objectif est de stabiliser le procédé, avant de pouvoir le développer ailleurs en France.

L’abattoir mobile, c’est également une meilleure rémunération pour l’éleveur : environ 25 % de plus que lorsqu’il passe par un abattoir traditionnel - Photo © Ludovic Godard

Il a testé l’abattoir mobile

« Dans le calme, sans bruit »

Clément Perrodin a testé l’abattoir mobile sur son exploitation début janvier. Une expérience convaincante pour l’éleveur de vaches Aubrac qui se dit prêt à renouveler l’opération.

En bordure du massif du Morvan, à Saint-Eugène (71), Clément Perrodin possède 150 vaches de race Aubrac. Comme tous les éleveurs du secteur, il a l’habitude de conduire ses animaux à l’abattoir de Luzy, à 30 kilomètres de chez lui. Il a fait appel au service de l’abattoir mobile du bœuf éthique pour la première fois début janvier : « J’avais assisté aux premières réunions il y a 4/5 ans, quand le projet n’était qu’au stade d’ébauche ; je trouvais l’initiative intéressante, notamment le fait de montrer que les éleveurs se soucient du bien-être animal. » Pour sa première expérience avec l’abattoir mobile sur ses terres, Clément avait sélectionné six bêtes : « Ça s’est très bien passé. J’ai été agréablement surpris de voir comment l’installation s’est faite, presque au milieu des animaux, à 20 mètres des paddocks. Tout s’est fait dans la sérénité. A aucun moment je n’ai senti mes bêtes stressées, y compris celles qui sont parties à l’abattoir. Tout s’est fait dans le calme, sans bruit. »

« On va jusqu'au bout de la chaîne »
Économiquement, Clément s’y retrouve :
« Il y a une plus-value, oui ». Mais ce qui intéresse l’éleveur, surtout, c’est la traçabilité de l’écosystème : « Je n’ai pas assisté à la mise à mort de mes animaux, même si j’en avais la possibilité. J’étais toutefois juste à côté. J’ai pu voir les carcasses des animaux, et ça, on ne peut pas le faire dans un abattoir classique. On va jusqu’au bout de la chaîne. » Convaincu par cette première expérience, Clément Perrodin se dit prêt a renouveler l’opération : « Si nos bêtes ne se sont pas senties stressées, nous non plus ! Donc oui, c’est à refaire. »

 

Clément Perrodin a testé le laboratoire mobile créé par Emilie Jeannin - Photo DR

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